28 janvier 2013

Un cadastre d'enfance, Roland Nadaus





Un cadastre d'enfance
Roland Nadaus, Éditions Henry, 2012,  6 euros

Ça commence abruptement :
"Aujourd'hui :
Mon papa n'est pas mon père"…/
…….
Présentement
Je me tais. Mais j'écris.
Ce livre noir de l'enfance représente un effort pour faire face à une façon "merdique" de venir au monde. Oublier par l'écriture de la douleur à la lisière du volcan du passé et regarder dans les yeux, coûte que coûte, l'opacité incommensurable du fait d'arriver à la vie à côté de la plaque et à la fois en plein dans le mille.
Poésie, s'il en est, qui dit quelque chose dans l'envers désolant des bons usages conformes alors qu'on tombe sur la terre entre la peine, l'oubli et la torture.
"À l'âge d'Alzheimer
je me souviens de tout Môman
et que tu m'as tant aimé
que c'est ta vie que tu m'as donnée
Et du coup, je ne me souviens plus
de moi  - "
Florilège :
"Foutu paquet cadeau"
"C'étaient les sabots de la Mort,
le raclement de ma naissance
le souvenir de cette noyade
   ou de cette pendaison
dans le ventre de ma mère
 Fœtus, j'avais tout entendu"

Tout ceci est lourd d'une puissante humanité :
"j'ai plongé mon âme buissonnière dans les excréments du réel et le fumier des apparences"
"J'ai boxé l'ignoble
          présent
 avec mes petits doigts de gangster honnête"
"Je suis devenu vieux très jeune"
"Je ne sais pas compter jusqu'à
                      moi
– alors comment parler de mes enfances".

Je ne résiste pas à citer la recette de la soupe aux vers de terre :

La soupe aux vers de terre :
On prend des vers de terre, il vaut mieux qu'ils soient gros, grands, gras : pour les couper en morceaux et les écraser dans la dînette, c'est plus commode, mais on peut aussi faire une soupe de bonne qualité avec des bébés vers de terre ou des vers de terre nains, c'est seulement plus difficile à touiller.
On prend du sable ou à défaut de la terre très fine : si elle n'est pas assez fine, on la passe au tamis de la passoire à thé par exemple.
On prend de l'eau ou bien on crache : à plusieurs c'est mieux parce que ça fait comme une fondue.
Après on touille, on écrase, on remue dans un sens et puis dans l'autre, on fait chauffer sur des pierres qu'on a disposées en foyer, on fait des gestes avec les mains pour montrer que c'est très chaud, que ça brûle, on le crie !
À ce moment on goûte la soupe aux vers de terre en se passant la dînette – ou la boîte de conserve si on n'a pas de dînette : une petite cuillère est utile, mais on peut faire comme si avec une brindille ou un caillou ou encore un trombone à papier.
Les plus gourmands font : hum, j'en reprendrais bien, mais un peu, mais à la fin le sang coagule et mélangé au sable blond, ça fait sale, alors on fait semblant de vomir, c'est le meilleur moment.

Ce livre courageux, car il met à nu, est tout à fait atypique. On y sent que Roland Nadaus nous dévoile sans fard le fond de son affaire. On salue cette mise en boîte de l'enfance et son émotion contenue. C'est un livre fraternel, un morceau d'humanité, constat sans concession à la modernité.

P de B